De tous les métiers du monde celui de parent est assurément le plus exigeant, compliqué, complexe, fastidieux, risqué, évolutif. Et pourtant, aucun diplôme n’est exigé, aucun certificat requis, aucune formation obligatoire, pas la moindre expérience nécessaire.

Trois échographies, quelques séances de kiné prénatale, une salle d’accouchement, une bonne assurance complémentaire et vous voilà recruté, engagé à vie. Bienvenue dans la Big Company des parents; des pères pour moi.

J’ai effectué l’écolage classique: quelques incontournables lectures en s’endormant; la visite de la maternité, un coup d’œil discret en croisant un berceau dans la rue, en entendant un mioche hurler dans un avion, en voyant une Maman se faire verbaliser devant la crèche en sortant avec peine le maxi-cosy de la voiture.

Le stage est un long fleuve plus ou moins tranquille jusqu’à la troisième échographie, vers la fin de la grossesse. À ce moment-là, la belle-mère reconnait la colonne vertébrale et l’orteil de sa fille; ma mère mon intelligence et le Docteur confirme que c’est bien un bébé.

J’ai déjà une voiture, un chat, un ordinateur – et maintenant un bébé. Sans notice, sans garantie, sans possibilité d’échange ou de retour au magasin. Merde, qu’est-ce qu’on fait avec ça ?!

Si il est vrai qu’au bureau, même noyé sous les dossiers, il est impensable d’avoir une assistance de plus; pour la paternité et la parentalité en général, les conseillers, experts, spécialistes sont légions et vous tombent dessus sans crier garde: les grand-mères qui par définition savent tout puisqu’elles ont tenu le même rôle il y a plus de trente ans; les grands-pères qui n’ont pourtant jamais langé leurs propres enfants; les frères, les sœurs, les amis, les ennemis, les collègues, les infirmières, le pédiatre de garde, le pédiatre du jour qui s’effraie des consignes données par son confrère de la veille. Chaque visiteur est plus avisé que l’autre. Chaque infirmière s’y connait mieux que ses consœurs.

On entend tout et son contraire; sans pouvoir trop y porter attention tant le moment est unique, magique. Au sentiment de fierté se mêlent la prise de conscience des responsabilités nouvelles. Et puis viennent les premières fois: le premier allaitement, le premier bain, la première nuit blanche, le premier son, les premières gesticulations, le premier renvoi, le premier changement de lange. On se débrouille tant bien que mal, on teste, on essaie, on réessaie, on habille, on déshabille. Que de nouveautés, que d’inconnu, que d’imprévu. Que d’émotions, d’interrogations, de certitudes, d’incertitudes.

On se raccroche à ce qu’a dit le gynéco, le pédiatre, l’infirmière chef, la stagiaire, la femme de ménage. On navigue à vue, on « s’inquiète pour n’importe quoi ». C’est à cela qu’on distingue les parents qui ont leur premier enfant. Dès le second, on ne s’inquiète plus, on s’en fout; c’est bon, ça ira! Qu’est ce qui a pu changer? Le diplôme, non; la formation, non; l’expérience, un peu. Mais surtout: la confiance en soi. Loin de moi de réfuter ou dédaigner les conseils reçus de tout un chacun ou des lectures parfois presque passionnantes.

Mais ce que je remarque, ressens, prétends c’est que depuis qu’est venue au monde ma fille, le 13 novembre 2001, à Uccle, à 19h55, avec 52 cm, 3kg 750 et sous le signe du scorpion; ce qui a le plus compté pour s’en occuper, prendre soin d’elle c’est la confiance en nous que sa mère et moi nous sommes forgés; notre bon sens; notre ressentis; notre conviction. Comme la chatte ou la chienne s’occupe de ses petits sans lecture préalable ou conseils avisés; nous, parents, avons nos intuitions, notre sensibilité; notre connivence avec le nouveau-né dès les première seconde de sa vie. Nous avons je pense moins besoin d’encyclopédies et de recommandations que de coaching pour développer l’assurance en soi, la confiance en soi, pour être apte à tirer les bonnes conclusions, porter les bons diagnostiques, avoir les bonnes réactions. Parce que rien n’est prévisible, rien ne se passe comme dans les livres, tous les cas sont uniques, différents, non-inscrits. Nous ne pouvons pas induire les réactions de l’enfant; nous ne pouvons que nous maitriser nous-même, nous assurer d’être équilibré, ouvert, réceptif, rationnel.

À la clinique, nous somme dorlotés, secondés, secourus, assistés. C’est après – rentrés à la maison – qu’il s’agit d’être parents: gérer les larmes, les vomissements, les pleurs, les coliques, les fièvres. Alors au début, on appelle le pédiatre mais on tombe sur son répondeur, la grand-mère même si elle va nous re-déballer qu’elle sait exactement ce qu’il faut faire, l’amie qui a accouché trois mois avant et qui elle aussi a laissé un message sur le répondeur du pédiatre. On consulte internet qui dit tout et son contraire, on recherche le chapitre 4, section 2 du livre sur les crampes intestinales. On est vite perdu, sur pied de guerre. Avec le recul, et le deuxième enfant, je me dis qu’il faut surtout de l’aplomb, du sang froid, de la réflexion; il faut davantage avoir travaillé sur soi-même que rechercher des solutions miracles qui n’existent pas.

Et puis en décembre 2001, j’ai eu droit au premier sourire de ma fille. C’est de la joie, de la fierté, de la tendresse. Alors on a compris qu’on est père, et pour toujours.

Suivront les premières panades de fruits, de légume, de viande. On suit les consignes du pédiatre, les quantités prescrites, les dosages, la fréquence recommandée pour les repas, les siestes, les bains. Le pédiatre la pèse, la mesure, compare les paramètres avec les courbes que lui a refilées le délégué d’une multinationale pharmaceutique – celle qui l’a invité aux Seychelles – , examine le lange, le fond de l’œil, l’oreille, le nez, le tour de tête, la distance entre l’orteil et le nombril. On demande quelques conseils supplémentaires mais surtout on cherche à être rassuré, à se rassurer. Oui, nous sommes de bons parents. Oui nous avons donné le bon médicament.

Je ne regrette pas de mettre documenté, renseigné; d’avoir lu, relu, bien lu, mal lu. Mais c’était peut-être trop, parfois superflu, redondant, contradictoire même.

Quels conseils je donnerais à mes propres enfants si Dieu me prête vie pour être grand père? Je ne pense pas que je leur dirais comment porter l’enfant, comment lui mettre du cutigénol (maintenant c’est du néo-cutigénol – longue durée, deux en un ! -:), ou s’il faut monter ou descendre les escaliers pour que le bébé s’endorme. Je leur dirais de prendre confiance en eux; d’être d’abord eux-mêmes des êtres sains (saints ?) dans un corps sain.

C’est je crois dans le même esprit que le pilote d’un avion prescrit toujours aux passagers en cas problème pendant le vol de d’abord mettre leur propre masque à oxygène avant de mettre celui de leur enfants. S’ils ne se préoccupent pas d’abord de leur bien-être, de leur indépendance, de leur capacité à réagir, ils ne pourront pas être en mesure de s’occuper et secourir leur enfant.

Aujourd’hui ma fille à 13 ans, un mètre septante et en reprenant le télésiège pendant le congé de carnaval, elle m’a dit que je suis le meilleur Papa du monde.

 

JK, Bruxelles, le 28 février 2015